Du Jazz Du Café Et Un Sucre

     Avec du jazz dans les oreilles, je trace pour rejoindre le numéro quatre de la rue Paul-Guiton. Le jazz à cette tendance à rendre les trajets en vélo un peu moins ennuyeux. La musique en général d'ailleurs mais aujourd'hui, c'est du jazz que je devais écouter. Avec ça dans les oreilles je n'entends pas le bruit insupportable de la ville en pleine heure de pointe. Le rendez-vous est dans dix minutes. Si je roule assez vite je devrais arriver à temps. Laissant tourner mes pensées comme les pédales de mon vélo j'imagine la conversation.
    "-Bonjour !
    -Bonjour. Alors dites moi… Comment allez-vous depuis la dernière fois?
    -Alors pour tout vous dire, cela fait quelques temps que je me prends pour un sucre dans un concert de     jazz.
    -Ah ! Oui… Ce n'est pas commun… Racontez moi en un peu plus sur cette expérience.
    -J'ai l'impression d'être un sucre. Vous savez ? Comme ceux qu'on met dans le café. Et je suis dans un        concert de jazz, avec de la musique qui me traverse le corps. C'est comme si j'étais en train de fondre,        de me dissoudre dans l'ambiance.
    -Hmm, c'est intéressant. Et comment vous sentez vous à propos de ça ?
    -Eh bien, c'est étrange, mais ça me procure un sentiment de bien-être et d'apaisement. Comme si je            faisais partie de quelque chose de plus grand.
    -Je vois. Et vous n'avez pas peur que quelqu'un vous boive ou vous mange ?
    -Si ça aussi c'est une métaphore, c'est le cas. Mais je serais sans doute totalement dissout avant que ça        n'arrive. La dissolution… je ne peux pas m'empêcher d'y penser.
    -Je comprends. Mais vous savez, moi aussi parfois je me sens comme un objet inanimé.
    En fait, je me sens parfois comme une machine à café, comme si je produisais des réponses et des            conseils sans vraiment ressentir quoi que ce soit. C'est peut-être un peu fou, mais c'est comme ça que je     me sens parfois.
    -Wow, je ne m'attendais pas à ça. Mais je s..." 

*Tuuuuuut!!* 

    Connard va! Le chauffard me coupe la route en me faisant un doigt d'honneur et en criant des insultes que la vitre m'empêche d'entendre. Sa voiture à grillé la priorité et a manqué de me renverser. Heureusement j'ai mis un gros coup de frein et j'ai éviter l'accident. De justesse. Les gens roulent vraiment comme des cons de nos jours. Sérieux. Regarde où tu vas enculé. T'es pressé ou quoi?! Moi oui je suis plutôt pressé mais pas de stress, dans une minute et une vingtaine de seconde je serais arrivé au rendez-vous. Là, la réalité me rattrapera et me rappellera que mon psychiatre n'est pas aussi conciliant. D'ailleurs, je n'ai pas l'impression qu'il comprenne les métaphores.

Du Jazz, Du Café Et Un Sucre Pt 2

    Je suis assis confortablement sur le vieux fauteuil en cuir marron du premier étage du numéro quatre de la rue Paul-Guiton. Devant moi il y a un vieux guéridon qui aurait pu appartenir à mon arrière grand-mère. Dessus, quelques bouquins de photos de mer et autres destinations exotiques. Il y a aussi quelques cartes de visite du genre alcooliques anonymes ou des trucs comme ça. Sur les murs, des étranges photos avec des jeunes femmes en robe blanche qui posent dans des ruines. C'est vraiment lugubre. 
    Quand je suis rentré pour la première fois dans cette salle d'attente je me suis vraiment demandé ce que je foutais là. Malgré l'ambiance étrange qui règne dans cette toute petite pièce, le fauteuil, lui, est vraiment confortable. C'est déjà une bonne chose. Ca fait déjà dix minute que j'attends. Il est toujours en retard. Même si j'essaye d'arriver un peu plus tard, il compte toujours au moins quinze minutes avant de me faire rentrer dans son bureau. Avachis dans le fauteuil, je dévisage les photos sans cadres sur le mur en face. De toute manière je suis là pour renouveler mon ordonnance et rien d'autre. Je n'ai pas le choix. Ca deviens de plus en plus dur de trouver un psychiatre ces temps ci alors celui-ci fera l'affaire pour le moment. Alors que je sors une énième fois mon portable de ma poche pour regarder l'heure, il entre dans la pièce.
    "-Bonjour. C'est a nous."
Je retire ma casquette, lui sers la main et le suis jusque dans le bureau.

    "-Allez-y installez vous."
Je m'exécute et attends qu'il commence son interrogatoire. Il m'observe. Croise les bras. Le silence est lourd. Après avoir passer une bonne minute a me dévisager il reprend.
    "-Bon et bien, allez-y! Vous n'avez rien à me dire?
    -Non pas vraiment.
    -Comment allez-vous depuis la dernière fois?"
Nous jouons tout les deux au jeu du silence. Le but est simple, laisser le plus de silence possible entre chaque phrases afin que le rendez-vous ait une durée convenable. Le tout en communiquant le moins possible d'information. Ce serait bien trop contraignant pour l'un et pour l'autre. Après quelques secondes de pause j'avance le siège et commence.
    "-En ce moment ça va plutôt bien. En tout cas c'est moins pire qu'a une époque j'imagine.
    -C'est à dire? Vous avez refait des crises ces derniers temps? Vous consommez toujours?
    -Hum... Je n'appellerais pas ça des crises mais quelques symptômes persistants sont gênants."
Il me toise de haut en bas. 
    "-Quel genre de symptômes? Vous avez encore des hallucinations?
    -Non. C'est plus trouble que ça. Par exemple j'ai l'impression de voir le visage de personne que je        connais sur des inconnus. Parfois c'est l'inverse et j'ai l'impression d'être avec je ne sais qui alors que     je ne suis entouré que de personnes familières. Ca arrive surtout quand il fait sombre et que je suis        fatigué. Mais j'ai l'impression qu'il y a quelque chose de plus profonds derrière tout ça..."
Il ne prends aucune note. Il se contente de me regarder avec un air interloqué.
    "-Très bien… Je vois."
Il soupire.
    "-Vous avez d'autres symptômes similaires?
    -Non ce n'est pas vraiment similaire mais, quand je suis avec du monde, j'ai parfois l'impression que     l'on peut lire mes pensées. Que chaque moment est scénarisé. Que tout mon entourage a révisé            comme une espèce de scène de théâtre pour me faire me sentir mal, peut-être même pour m'insulter.     Enfin... Ca sonne insultant mais... ça semble si parfaitement orchestré que c'en est vraiment...              impressionnant. Et je suis entre effrayé et admiratif. Heureusement j'arrive a me raisonner et j'essaye     de rester terre à terre. Scénariser chaque moment à la perfection comme ça ne peut pas être possible.     Alors j'essaye de me focaliser sur cette pensée et de me calmer."
Il regarde l'heure. 
    "- Je vois... Très bien. Je vais augmenter un peu votre dosage de médicament. Ca ne devrait pas trop     vous sédater et ça devrais vous aider à supporter un peu mieux ce genre de symptômes. Vous verrez,     cela va vous aider à vous sentir mieux, comme un sucre en plus dans un café... Vous consommez        toujours ?
    -Du café?
    -Non. Je faisait allusion a votre consommation de drogue.
    -Un petit peu, mais c'est moins régulier qu'a une époque.
    -Avec de l'alcool aussi j'imagine. Vous devriez vraiment arrêter. Je pense que ça joue beaucoup sur        les symptômes que vous décrivez. Et puis on ne sait pas comment ça pourrait réagir avec votre            traitement. On change le dosage qui plus est. Alors vous devriez vraiment reconsidérer votre                consommation. Vous avez penser à consulter un addictologue?
    -Oui j'ai rendez-vous dans une semaine.
    -Très bien. Vous pouvez insérer votre carte vitale dans le lecteur."
Il tapote sur le clavier de son Macintosh de dernière génération. L'imprimante s'éveille soudain et fait son bruit d'enfer. Il me tends la nouvelle ordonnance.
    "-Vous pouvez récupérer votre carte vitale. Je vous donne rendez-vous le mardi d'ici deux mois. Je         vous enverrai un message pour vous le rappeler.
     -Je vous remercie. Bonne journée.
     -A bientôt."
Je range l'ordonnance dans ma banane et remet ma casquette. Il me sert la main et je quitte pour de bon le cabinet du premier étage du numéro quatre de la rue Paul-Guiton. Dix ans d'études pour écrire des ordonnances. Tu parle d'une réussite. Il a un super fauteuil et le dernier Mac, c'est vrai, mais qu'est-ce qu'il doit s'emmerder. 
    Le rendez-vous à duré quinze minutes exactement. Pas une de plus, pas une de moins. Chacun de nos rendez-vous sont les mêmes. La seule chose qui change, c'est le dosage du médicament.

Sorcellerie

    Bon. Il est l'heure de me rendre à mon prochain rendez-vous. Pas besoin de GPS. Je connais bien l'adresse puisqu'aujourd'hui c'est chez moi que ça se passe. Pour cette fois-ci je passe par Sybille. Son grossiste a cassé les prix et j'en ai rarement eu d'aussi beau. Elle a un peu de préparation a faire donc je lui prête ma cuisine. Ca me fait l'occasion de passer un moment avec elle et comme elle est généreuse, elle me laisse toujours gouter le produit une fois qu'il est prêt. Enfin gouter... Elle me gave plutôt. Avec elle je suis tranquille jusqu'au lendemain. D'une main je fume ma cigarette et de l'autre, je tiens le guidon. A cette allure, je devrais vite être chez moi. Je grille les feux rouges, passe sur les passage piéton et devant les automobilistes. De l'oreille gauche je reste attentif à la route et au mouvement autour de moi. Dans la droite, l'écouteur crache un rap infame et assourdissant. On pourrait croire que je pédale, dans ma tête je suis en bécane et rien ne peux m'arrêter.
J'arrive sur le Parking en même temps qu'elle. Sa portière claque. J'attache mon vélo. Les clefs à la main, je lui fait signe de me suivre.
    "-Wesh, comment ça va beau gosse?
    -Au top ! et toi beauté?
    -Comme d'hab. Le boulot."
J'insère les clefs dans la serrure et ouvre la porte. Je la laisse passer devant.
    "-Au fait c'est bon? Ca te dérange pas que je prépare chez toi?
    -Non, honnêtement je m'en branle.
    -Parfait. T'a la balance?"
Je hoche la tête. J'allume une cigarette et m'en vais chercher le matériel. J'en profite pour mettre un peu de musique. Mes voisins ont les oreilles qui trainent. C'est le seul moyen que j'ai trouvé pour brouiller un peu les conversations.
    "-Alors qu'est-ce que ça donne?
    -C'est une nouvelle apparemment. Elle viens du Pakistan il parait.
    -C'est plutôt rare en ce moment de l'avoir a ce prix là. J'espère que c'est pas de la daube.
    -Il me l'a fait goutée. Elle est bien t'inquiète pas."
Après avoir pesé et séparé ma commande du reste, elle se lance dans la recette. A moitié sur son téléphone, a moitié en train de surveiller la mixture, nous échangeons peu de mots. Je lance quelques mauvaises blagues, elle fait semblant d'y rire. On a pas grand chose a se dire. En fait, la musique monopolise le dialogue et ni elle ni moi ne l'écoutons. 
    "-Tu veux une trace?
    -Vas-y, fais moi rêver!"
Avec une carte elle écrase les cristaux et dessine deux grandes lignes sur le téflon. Elles sont longues et épaisses. Peut-être deux fois plus que ce que j'ai l'habitude de faire. Avec une deuxième carte elle gratte la première pour en décoller le reste de substance. Elle y ajoute aux deux traits existants et égalise le tout. Elle se penche et aspire le plus consistant des deux puis relève la tête en grimaçant et en reniflant bruyamment. Elle à l'air forte apparemment. Je me penche à mon tour. Je vise du mieux que je peux et suis la route que Sybille a tracé pour moi. En relevant la tête je me rends compte que j'ai rater un peu du produit au début du rail. Je recul un petit peu et replonge dans la poêle. Ca brule le nez. C'est vraiment pas bon. La playlist passe au titre suivant. Mon corps se détends. Sybille a moitié sur son téléphone me regarde du coin de l'œil. Pas de doute. Elle est forte.

Redouane

    Il est 3h du matin. Les spots noient la pièce dans une lumière jaunâtre. Le silence est lourd. J'attends patiemment. Bien que je les sente battre dans ma tête et dans tout mon corps, la main posée sur le cou, je surveille les pulsations de mon cœur. Ca bourdonne dans mes oreilles. Une mouche zigzague et tourne en rond au dessus de ma tête. Comme un vautour attendant son heure. Putain. Quelle connerie sérieux. Je ne peux m'en prendre qu'a moi même après tout. Ca fait deux jours que j'me défonce sans m'arrêter. Pas plus que d'habitude. Pourtant cette fois j'ai bien cru que j'allais y laisser ma peau. Quand j'ai appelé le 15, le pire était déjà passé mais une douleur inquiétante persistait dans ma poitrine. Ils se sont bien foutus de ma gueule d'ailleurs. "Ah mais vous prenez de la drogue et vous êtes surpris que ça finisse mal? Fallait réfléchir un petit peu !" Quelle merde. J'vais dire quoi aux urgentistes moi ? "Merci mais vous pouvez repartir, je ne suis pas mort finalement." Putain sérieux. Je savais que c'était le rail de trop mais je n'ai pas pu m'empêcher de vouloir aller plus loin. Plus haut, plus profond. Je ne suis pas croyant mais arrivé aux portes de la mort j'ai prier tout les dieux. Je les ai imploré même. J'aurais fait n'importe quoi pour ne pas que ça m'arrive. Mais je fait n'importe quoi. Une vibration dans tout le corps, mes veines semble être sur le point de lâcher. je sens comme un liquide chaud qui coule et s'étends a l'intérieur de mon crane. Est-ce que j'aurais des séquelles ? C'est certain. J'essaye de penser, de faire des opérations dans ma tête pour vérifier que tout fonctionne. C'est insupportable… cette foutue mouche ne s'arrête pas de tourner dans toute la pièce. Elle me nargue.  

    Le téléphone sonne. Je décroche aussi tôt. Ce sont les urgentistes, ils sont arrivés en bas de chez moi. Par chance ils n'ont pas allumé les sirènes et les gyrophares. J'ose même pas imaginer le drame familiale si mes parents étaient au courant de ce qui viens de se passer. 
    "-Bonsoir monsieur. C'est vous qui avez appelé?
    -Oui c'est moi. Mais je crois que ça va mieux. J'suis un peu gêné de vous déranger pour ça.
    -Ca c'est nous qui allons vous le dire. La personne est en sécurité? Il y a quelqu'un pour la surveiller ?
    -C'est pour moi.
    -Très bien asseyez vous quelque part. On va évaluer votre état. Après on vous dira si il faut hospitaliser d'urgence ou non."
Ils sont deux. Je les fais rentrer. Ils me font m'asseoir sur le canapé et déballent le matériel de soin. J'imagine que ce sont des pompiers puisque leurs tenues, bien qu'elles s'apparentent à celles des infirmiers, sont rouge.
    "-On va vous poser quelques questions. Dites nous absolument tout, on est pas des policiers mais on     a besoin d'en savoir le maximum pour pouvoir vous aider du mieux qu'on peut. Comment vous sentez vous? Pouvez vous nous décrire un petit peu?"
Comme une merde. Là, je me sens comme un merde. 
    "-Bah a vrai dire le plus gros de la crise est déjà passé. J'ai du un peu paniqué tout a l'heure quand         j'ai appelé.
    -Vous avez des symptômes persistant? On va quand même faire quelques examens pour être certain     que tout va bien.
    -Alors j'ai encore un peu des douleurs dans la poitrine. Et mon bras gauche est tout engourdit.
    -Tendez votre bras s'il vous plait. Non l'autre. On va vous mettre ça sur le doigts aussi."
Il me passe le brassard du tensiomètre et me branche le doigt avec une sorte de pince. Pendant ce temps le second urgentiste continue à me poser des questions.
    "-Vous vous appelez comment?
    -Chance. Chance Fontanille.
    -Vos parents ont bon gout. Moi c'est Redouane. Et lui, c'est Maxime. Essayez de vous calmer on est     là."
Ils parlent de manière détendue et rassurante. Au delà de ça j'ai l'impression de l'avoir déjà vu ce Redouane. Je ne sais pas vraiment d'où mais ni ce nom ni ce visage ne me sont inconnus.
    " Votre date de naissance s'il vous plait? Vous vivez seul?"
Ils me posent tout un tas de questions tout en remplissant la fiche informative.
    "-Essayez de ne pas parler pendant la prise de tension. Respirez normalement."
Le brassard gonfle dans un léger ronronnement. Ecrasant peu a peu mon bras. Ce genre de truc c'est jamais agréable mais là j'ai vraiment l'impression que mes veines sont a deux doigt d'exploser.
    "-La tension est un peu élevée. On va faire l'autre bras si vous voulez bien."
Je m'exécute.
    "-Vous avez pris quoi pour vous mettre dans cet état là?"
C'est difficile a dire.
    "-Je n'en sais trop rien.
    -Vous ne savez même pas ce que vous avez pris?! On est pas des flics, il faut nous dire ce que c'est,     les procédures ne sont pas les mêmes.
    -Non je ne sais pas. Cocaïne, héroïne, kétamine… Ca pourrait être n'importe quoi, j'ai jamais                ressenti des effets comme ça. Et puis en vérité je crois bien qu'on sait jamais vraiment ce qu'on…
    -Ne parlez pas s'il vous plait."
Le tensiomètre se remet à gonfler en m'écrasant le bras. Un bip régulier résonne dans la pièce. Il est rapide ce bip. Plus j'y fais attention et plus il s'accélère.
    "-Calmez vous. La tension est un peu inquiétante mais votre pouls est dans la normale."
Il me montre les chiffres sur sa machine pour me rassurer.
    "- Vous avez pris autre chose? Alcool? Cannabis?
    -Non. Juste la poudre.
    -Comment vous appelez vous ?
    -Vous m'avez déjà posé cette question non? 
    -C'est juste dans le but de remplir la fiche pour les médecins.
    -Chance Fontanille."
Ils connaissent leur métier. Ils me prennent la tension des deux cotés en me faisant tendre les bras ou le doigt. Me posent tout un tas de question basique. Font un petit peu la conversation pour voir comment je m'exprime. Tout ça sert à vérifier que mon cerveau n'est pas atteint. Que mes capacités cognitive et motrice n'ont pas été affectées. 
    "-Vous suivez un traitement ?"
Ils montre du doigt les ordonnances posées sur la table à manger.
    "-Oui, je suis schizophrène. Je prends des antipsychotiques.
    -On va les prendre avec nous comme ça on pourra les transmettre aux médecins. Vous êtes pas un        peu taré de prendre des produits avec des traitements pareils?!
    -...
    -Comment vous en êtes arrivé là? Vous êtes jeune encore. Vous avez toute la vie devant vous."
Je ne réponds pas. J'ai honte. J'ai envie de pleurer. Ils sont là. Ils s'occupent d'un jeune connard qui aurait sans doute mieux fait  d'assumer ses actes tout seul. Ils discutent avec moi sans jugement, comme des grand frères l'auraient fait. Ma gorge se sert. Je détourne le visage. Je ne veux pas qu'ils voient cette buée se condenser dans mes yeux.
"-Bon. On va vous emmener avec nous. Vous allez passer la nuit à l'hôpital. On pourra s'assurer que vous êtes sorti d'affaire. Prenez vos cigarettes. Juste au cas où."
Une larme roule sur ma joue. Redouane me souris et me fait une tape sur l'épaule. Je rassemble quelques affaires et les suis dans le fourgon.

Eye liner

     Ah. Ils annoncent de la pluie apparemment. Soupir. Pour les sept prochains jours. Ca va pas être la joie. *Ding* . Je reçoit un message de Sybille. "Alors ? Tu l'aime bien ? J'espère que t'a fini tout le stock parce qu'on en à reçu une nouvelle. Elle est encore mieux que celle que je t'ai filer!". Va te faire foutre sérieux. C'est clair que je vais pas répondre. C'est pas une sorcière en fait! C'est une succube! Faut vraiment que j'arrête de penser avec ma queue. Que des problèmes. Un jour je vais finir par y passer ça craint sérieux. En plus franchement a part ses tatouages et ses piercings elle est pas si attirante que ça. Son corps est pas affreux mais on sent que la drogue lui a pas fait du bien. Rien à voir. Rien à voir avec elle. Mais elle… Elle, elle a trop souffert avec mes conneries. Comment est-ce possible de faire autant de crasse à quelqu'un qu'on aime… Ses potes me diraient que c'est parce que c'était pas de l'amour. Moi, je sais que si. Elle de son coté, elle a du y croire aussi pendant un moment. Mais ça c'était avant que je perde les pédales. Avant mon obsession pour l'argent et la débauche. Putain quelle merde. Bien sur même après ça on est resté en contact. On s'envoie quelques messages, on s'appelle parfois mais… On doit garder de la distance même si c'est vrai qu'en ce moment on discute de manière plutôt régulière. Mes pensées tournoient avec la fumée de la cigarette industrielle que je suis en train de fumer. Estelle… Je lui aurais écris bien des poèmes. Mais même si ils avaient été parfaits ils n'auraient jamais pu décrire à quel point elle est belle. Je rumine difficilement quelques souvenirs, écris quelques vers sans intérêt puis décide finalement de prendre de ses nouvelles.

    Elle est vraiment jolie cette fille. Elle ne porte pas de maquillage d'habitude mais c'est plutôt réussi. Ca lui donne un air un peu différent mais le léger coup d'eyeliner n'a pas travesti les traits de son visage. Ca lui ressemble bien ça. Tout est mesuré chez elle, elle n'en fait jamais trop. C'est vraiment un modèle pour moi. Moi qui suis toujours dans la surenchère. Toujours l'envie de me faire entendre, d'avoir les mots justes, quitte a raconter des conneries plus grosse que moi. Toujours l'envie de paraître beau, d'attirer l'attention, avec une nouvelle coupe de cheveux, un nouveau tatouage ou je ne sais quel bijou piqué à je ne sais qui. Toujours l'envie d'avoir une place à la table que l'on m'interdit. Elle, elle n'a pas besoin de tout ça. Je souris tout seul en regardant la photo sur l'écran de mon téléphone. Bon... Je prends mon courage à deux mains et lui envoie un message. Une banalité, juste histoire d'entamer la conversation. "Tiens ? Tu te maquille maintenant ??". Maintenant plus qu'a attendre. Elle met toujours sa vie à répondre. Parfois plusieurs heures. Parfois plusieurs jours.

Chevrotine

 *Ding* 

Je ne m'attendais pas à recevoir une réponse aussi vite. Je déverrouille précautionneusement mon téléphone. Je surréagit au moindre des mots d'Estelle. La moindre virgule peut changer le message. Parfois j'attends même quelques minutes après la sonnerie pour me permettre de l'ouvrir. Juste histoire que l'excitation retombe un peu. Je l'ouvre ou je l'ouvre pas? Je met un peu de musique décapsule une bière et allume une cigarette. Bon. On va pas tortiller du cul pour chier droit. J'ouvre le message. "Qu'est-ce que ça peut te faire que je me maquille ? Est-ce que moi j'te demande si tu te shampouine à la lavande ?! Je préfère qu'on arrête de se parler pendant un moment Chance, ça vaut mieux, là je vois pas où ça nous mène, surtout en ce moment." 

Wow. Ces quelques mots m'ont fait l'effet d'un coup de douze chargé à la chevrotine. D'abord la détonation, puis la balle qui siffle, puis l'impact, la chair qui se déchire. La cendre tombe de ma cigarette. 

Je ne m'attendais pas à ça. J'ai une bouffée de chaleur, comme un nœud dans la gorge. Ma poitrine me fait mal. J'ai les yeux dans le loin, j'ai la tête qui tourne. Enfin Je me rappelle qu'il faut que je respire. J'inspire. Expire. Soupire. Des souvenirs m'assaillent et me malmènent. Je me rappelle cette fois sur la plage. Cette fois où j'ai pleuré. Cette autre fois ou c'est elle qui pleurait.

Une première vague balaye mon cœur qui semble s'être arrêté. Qu'est-ce qui la pousse à être aussi amère? C'était juste des mots. Un début de compliment sans intérêt. Pourquoi une réponse aussi brute? Le vide se creuse. 

Une seconde vague me frappe l'âme. Je relis le message une deuxième fois. Puis une troisième. Et ainsi de suite dans l'espoir d'avoir manquer quelque chose, d'avoir mal compris, d'avoir halluciner. Mais ses mots étaient net, précis, sans aucune ambiguïté. A quiconque étaient ils destinés, le message était clair. 

Les vagues suivantes emportent tout mes espoirs comme un ballon de plage dans les remous. Je savais qu'elle fréquentait quelqu'un depuis un moment mais je n'aurais pas penser qu'elle m'effacerait aussi facilement pour lui. Pourtant, c'est ce qu'elle est en train de faire. Les souvenir tourbillonnent dans ma tête, se cognent et se fracassent. Mes deux oreilles sifflent, ma poitrine est comme comprimée, je fixe le vide. 

Ca fait plus de six ans qu'on est plus ensemble. Suis-je stupide de toujours creuser dans son coeur pour y trouver une flamme ? On s'était bien dit que l'on attendrais plus rien de l'autre, c'était dans le contrat. Des amis, nous devions juste être des amis. Bien sur, pour moi, ce n'était qu'une excuse pour pouvoir me prendre un petit shoot d'émotions de temps à autres, mais qui ne l'aurait pas fait. Quand tu connais quelque chose de fort, tu peux pas lâcher l'affaire tout de suite. Et puis malgré son détachement j'ai toujours eu la sensation qu'il lui restait un petit quelque chose dans le fond de son cœur. Pour moi c'était juste un moyen de nous sentir encore un peu vivant. Aujourd'hui… Je crois qu'il ne reste plus rien... "Nous"...  Je suis mort une seconde fois.


Peinture à L'eau

  Il fait chaud. Je me rafraichi en buvant une bière dans le jardin. Il me semble que je vais bien. Le ciel, lui, est gris et les nuages, tourmentés. Je m'allonge dans l'herbe et j'attends la pluie. je n'ai pas eu le temps de m'endormir. Après quelques minutes les premières gouttes se font déjà sentir. Quelques minutes passe comme ça. Il pleut. Un vent froid s'est levé et par de douces caresses, il me rappelle que je devrais rentrer chez moi. Je suis assis là avec ma bière vide dans la main. La pluie s'écoule le long de mes joues. Comme les larmes que j'aurais du pleurer. Au final elles ne sont jamais venues. Je l'écrirai dans une chanson. J'ai froid. Ma chemise est mouillée et me colle à la peau. Je range ma serviette et rassemble en vitesse mes affaires. L'orage gronde. Je fume une dernière cigarette avant de me mettre au sec. Je préfère contempler encore un peu le ciel. Il est beau aujourd'hui. 

    La porte claque derrière moi. J'ai un petit peu froid maintenant. J'ai un trop trainé sous l'averse. Je pose mes affaires trempée sur l'étendage pour les mettre a sécher. Mon tabac a pris l'eau lui aussi. Derrière la fenêtre, c'est une pluie presque tropicale qui se déverse sur la ville. De temps à autres, les éclairs inondent la pièce de lumière. Le bruit de la pluie battante est entrecoupé de grondements inquiétants. Je met un peu d'eau à chauffer et allume une cigarette. En attendant que le thé infuse, je consulte mes messages et mes mails. Comme d'habitude, je n'ai aucune nouvelle. Du moins, rien d'important. Ma cigarette se consume et la pièce se remplit d'une épaisse brume. Je lance au hasard une playlist de jazz. Les américains appelle cela du *Noir L.A. Jazz* comme si pour eux dire "Noir" en français rendait le noir plus noir encore qu'il ne l'est déjà. Mais je crois que je comprends ce qu'ils insinuent. Toujours est-il que ça colle particulièrement bien avec le temps qu'il fait et me plonge dans de drôles de rêveries. Perdu dans mes songes j'ai oublié le thé ! Il va être trop amer. Je me verse une grande tasse et passe a la cuisine pour y chercher du miel et du lait. A cause des nuages on dirait presque qu'il fait nuit. La musique défile emportant mes pensées doucement au rythme du saxophone tandis que L'écran de l'ordinateur projette une douce lumière colorée sur les murs de la chambre. Je plonge peu un peu dans une profonde somnolence, emporté par la musique lancinante et la chaleur de l'été.