Je suis assis confortablement sur le vieux fauteuil en cuir marron du premier étage du numéro quatre de la rue Paul-Guiton. Devant moi il y a un vieux guéridon qui aurait pu appartenir à mon arrière grand-mère. Dessus, quelques bouquins de photos de mer et autres destinations exotiques. Il y a aussi quelques cartes de visite du genre alcooliques anonymes ou des trucs comme ça. Sur les murs, des étranges photos avec des jeunes femmes en robe blanche qui posent dans des ruines. C'est vraiment lugubre.
Quand je suis rentré pour la première fois dans cette salle d'attente je me suis vraiment demandé ce que je foutais là. Malgré l'ambiance étrange qui règne dans cette toute petite pièce, le fauteuil, lui, est vraiment confortable. C'est déjà une bonne chose. Ca fait déjà dix minute que j'attends. Il est toujours en retard. Même si j'essaye d'arriver un peu plus tard, il compte toujours au moins quinze minutes avant de me faire rentrer dans son bureau. Avachis dans le fauteuil, je dévisage les photos sans cadres sur le mur en face. De toute manière je suis là pour renouveler mon ordonnance et rien d'autre. Je n'ai pas le choix. Ca deviens de plus en plus dur de trouver un psychiatre ces temps ci alors celui-ci fera l'affaire pour le moment. Alors que je sors une énième fois mon portable de ma poche pour regarder l'heure, il entre dans la pièce.
"-Bonjour. C'est a nous."
Je retire ma casquette, lui sers la main et le suis jusque dans le bureau.
"-Allez-y installez vous."
Je m'exécute et attends qu'il commence son interrogatoire. Il m'observe. Croise les bras. Le silence est lourd. Après avoir passer une bonne minute a me dévisager il reprend.
"-Bon et bien, allez-y! Vous n'avez rien à me dire?
-Non pas vraiment.
-Comment allez-vous depuis la dernière fois?"
Nous jouons tout les deux au jeu du silence. Le but est simple, laisser le plus de silence possible entre chaque phrases afin que le rendez-vous ait une durée convenable. Le tout en communiquant le moins possible d'information. Ce serait bien trop contraignant pour l'un et pour l'autre. Après quelques secondes de pause j'avance le siège et commence.
"-En ce moment ça va plutôt bien. En tout cas c'est moins pire qu'a une époque j'imagine.
-C'est à dire? Vous avez refait des crises ces derniers temps? Vous consommez toujours?
-Hum... Je n'appellerais pas ça des crises mais quelques symptômes persistants sont gênants."
Il me toise de haut en bas.
"-Quel genre de symptômes? Vous avez encore des hallucinations?
-Non. C'est plus trouble que ça. Par exemple j'ai l'impression de voir le visage de personne que je connais sur des inconnus. Parfois c'est l'inverse et j'ai l'impression d'être avec je ne sais qui alors que je ne suis entouré que de personnes familières. Ca arrive surtout quand il fait sombre et que je suis fatigué. Mais j'ai l'impression qu'il y a quelque chose de plus profonds derrière tout ça..."
Il ne prends aucune note. Il se contente de me regarder avec un air interloqué.
"-Très bien… Je vois."
Il soupire.
"-Vous avez d'autres symptômes similaires?
-Non ce n'est pas vraiment similaire mais, quand je suis avec du monde, j'ai parfois l'impression que l'on peut lire mes pensées. Que chaque moment est scénarisé. Que tout mon entourage a révisé comme une espèce de scène de théâtre pour me faire me sentir mal, peut-être même pour m'insulter. Enfin... Ca sonne insultant mais... ça semble si parfaitement orchestré que c'en est vraiment... impressionnant. Et je suis entre effrayé et admiratif. Heureusement j'arrive a me raisonner et j'essaye de rester terre à terre. Scénariser chaque moment à la perfection comme ça ne peut pas être possible. Alors j'essaye de me focaliser sur cette pensée et de me calmer."
Il regarde l'heure.
"- Je vois... Très bien. Je vais augmenter un peu votre dosage de médicament. Ca ne devrait pas trop vous sédater et ça devrais vous aider à supporter un peu mieux ce genre de symptômes. Vous verrez, cela va vous aider à vous sentir mieux, comme un sucre en plus dans un café... Vous consommez toujours ?
-Du café?
-Non. Je faisait allusion a votre consommation de drogue.
-Un petit peu, mais c'est moins régulier qu'a une époque.
-Avec de l'alcool aussi j'imagine. Vous devriez vraiment arrêter. Je pense que ça joue beaucoup sur les symptômes que vous décrivez. Et puis on ne sait pas comment ça pourrait réagir avec votre traitement. On change le dosage qui plus est. Alors vous devriez vraiment reconsidérer votre consommation. Vous avez penser à consulter un addictologue?
-Oui j'ai rendez-vous dans une semaine.
-Très bien. Vous pouvez insérer votre carte vitale dans le lecteur."
Il tapote sur le clavier de son Macintosh de dernière génération. L'imprimante s'éveille soudain et fait son bruit d'enfer. Il me tends la nouvelle ordonnance.
"-Vous pouvez récupérer votre carte vitale. Je vous donne rendez-vous le mardi d'ici deux mois. Je vous enverrai un message pour vous le rappeler.
-Je vous remercie. Bonne journée.
-A bientôt."
Je range l'ordonnance dans ma banane et remet ma casquette. Il me sert la main et je quitte pour de bon le cabinet du premier étage du numéro quatre de la rue Paul-Guiton. Dix ans d'études pour écrire des ordonnances. Tu parle d'une réussite. Il a un super fauteuil et le dernier Mac, c'est vrai, mais qu'est-ce qu'il doit s'emmerder.
Le rendez-vous à duré quinze minutes exactement. Pas une de plus, pas une de moins. Chacun de nos rendez-vous sont les mêmes. La seule chose qui change, c'est le dosage du médicament.