La Bonne Excuse

     J'ai déjà testé son produit. J'avais gouté quelques lignes mais a peine j'avais fini la deuxième que j'ai ressenti le besoin de m'allonger quelques minutes. D'un autre coté on est jamais vraiment sûr. Peut-être a-t-il changé de fournisseur ? Ou bien l'a-t-il recoupé avec autre chose ? C'est vrai qu'en regardant on a l'impression que ce n'est plus vraiment le même. Je vais le cuisiner un peu voir si j'obtient le même résultat. Je rince grossièrement la poêle dans laquelle je prépare d'habitude mes sauces et y verse le produit. Maintenant c'est une histoire de patience.  Dans quelques minutes la réaction sera déjà terminée et je pourrais enfin savoir si je me suis fait entubé ou pas. Une épaisse vapeur s'échappe du mélange tandis que la réaction commence doucement. Je ne sais pas si c'est très recommandé de respirer ça mais après tout, je l'ai fait des dizaines de fois sans protection et ça ne m'a jamais donner de quelconques effets. J'allume une cigarette. L'odeur du tabac se mélange avec les émanations de la préparation. Ca chatouille mon nez de manière indescriptible. A la fin de ma cigarette, il ne restera presque plus de liquide dans le fond et ça devrait commencer à cristalliser. En tout cas, s'il ne s'est pas foutu de ma gueule. *Toc Toc Toc Toc Toc!* Ca frappe a la porte. C'est emmerdant. Ce n'est vraiment pas le bon moment... Malgré tout je décide d'aller voir ce qu'il en est. Je saisis la poignée et entrouvre la porte. 
    "-Ah tu es là ! Comme j'ai vu de la lumière je me suis demandé si tu n'étais pas sorti en oubliant de l'éteindre.
    -Ah bah non. J'ai rien oublié, je suis bien là. Tu ne rentre que maintenant ? Il est déjà tard, papa doit t'attendre !"  
J'essaye d'abréger au plus la conversation. J'aimerais éviter que tout crame alors que je suis occupé.
    "-Bon tant mieux. Je vais vite monter le rejoindre ne t'inquiète pas. Et toi ? qu'est-ce que tu cuisine encore à cette heure là?
    -Je n'ai pas encore manger c'est pour ça. Bonne nuit a vous !
    -Bonne nuit ! Et s'il te plait, aère ! Ca pue la clope chez toi !"
Je referme la porte à moitié sur le nez de ma mère et cours m'assurer que la préparation n'est pas en train de bruler. C'est presque prêt. Le contenu de la poêle commence à crépiter. J'écrase ma cigarette à peine consumée dans le cendrier. En un court instant le reste du liquide se transforme en une épaisse plaque de cristaux jaune. Bon à la base ils auraient du être blancs. Comme de la neige. Ils ont du prendre la couleur du curry ou de je ne sais quelle épice j'ai mis dans la sauce hier. Comment être sûr ? Ca m'embête un petit peu... Je vais devoir gouter par moi même. En temps normal, j'évite de consommer avant d'être rentrer dans mon budget ou alors je m'en fais juste une lichette de temps en temps quand je la fait gouter à un client. On dira que c'était un jour de fête, c'est toujours une bonne excuse. 

    Avec des cartes, je gratte le fond de la poêle. Je transforme les cristaux en fine poudre et je les rassemble en tas. Je vous jure ! On se croirait en Camargue ! Sauf que cette poudre là a plus une odeur de sels de bain que de sel marin. En hâte, je prépare deux lignes. Une plutôt raisonnable et une autre un peu plus conséquente. D'un post-it je roule un fin tube et inspire la plus courte des deux. La poêle à la main, je file dans ma chambre mettre un peu de musique. Mon nez me brule et un affreux gout me coule dans la gorge. Ca, en tout cas, c'est sûr, ça n'a pas changé. Il faut maintenant attendre que ça fasse effet. Le seul soucis c'est que j'ai déjà user de toute ma patience quand je faisais la cuisine. J'allume une cigarette alors que le contenu de la deuxième ligne me coule déjà dans la gorge. C'est vraiment pas bon. J'ai quelques haut-le-coeur mais je ne pense pas vomir. Je déglutit avec dégout mais le plus dur est passé et je commence a partir. Je m'allonge dans mon lit et laisse la musique guider mon esprit. Je ferme les yeux. En quelques minutes, mon corps est complètement détendu. Il fait noir. Mais pas totalement, j'ai l'impression que quelque chose se dessine dans ce néant. Et peu a peu, le vide s'anime.

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