La Bulle

 année 2014

    Hâtivement, je quitte la salle de classe, laissant mes camarades encore en train de noter les devoirs pour le cours suivant. Normalement il reste encore deux heures avant que la journée soit terminée. Je m'en fiche. J'ai bien mieux à faire. Et puis ce ne sont vraiment pas des cours important. "Accompagnement personnalisé" ils appellent ça. Je n'ai jamais vraiment compris à quoi cela servait. On se retrouve dans une salle avec des élèves qui viennent de toutes classes pour finalement s'ennuyer et faire semblant de travailler. Ils disent que c'est pour soutenir les élèves dans certaines matières ou travailler sur notre orientation. Vraiment pas le genre de choses dont j'ai besoin. Les cours je les connais déjà par cœur. Comme j'ai redoublé j'ai déjà eu exactement les mêmes cours l'année dernière. Je passe le portail du lycée et déjà une agréable odeur d'herbe magique viens me chatouiller le nez. Ce n'est pas celle qui viens de mon sac à dos. Elle vient des bancs. Les bancs c'est l'endroit où tout les fumeurs de pétards du lycées viennent se rejoindre pour se détendre. Il s'agit de trois bancs verts légèrement cachés de la route par quelques arbres et buissons. "Rejoins moi, j'suis aux bancs" est sans doute la phrase que j'attends le plus chaque jour. Ils se trouvent juste à coté du lycée, à l'opposé du coin fumeur. Peu importe l'heure, il y a toujours quelqu'un en train de fumer aux bancs. Enthousiaste je m'empresse de rejoindre la douce odeur qui s'en dégage. Plus je m'approche plus l'odeur se fait forte. J'entends de la musique, des gens qui discutent comme dans une de ces soirées qui durent jusqu'au petit matin. Je tourne à l'angle du lycée et les trois bancs verts apparaissent devant moi. Une épaisse fumée plane dans l'air et la musique semble envelopper tout l'espace. L'atmosphère est douce et envoutante. J'ai l'impression que je viens de rentrer dans une bulle, hors de l'espace et hors du temps.

    Je n'ai jamais vu autant de monde à cet endroit. C'est comme si tout le monde s'était passé le mot pour venir se rejoindre ici à cette heure. Plus tôt dans la journée une très grosse livraison de Lemon Haze avait eu lieu. C'était la nouvelle beuh que tout le monde s'arrachait en ce moment. Et personne aux bancs n'avait loupé l'occasion visiblement. Une épaisse brume, des rires et des quintes de toux, du rap, planant mais entrainant, des jolies filles de tout les styles… Tout cela forme une parfaite harmonie. On se croirait dans une série américaine. Les vendeurs vendent, les fumeurs fument, les filles et les garçon se draguent et la musique fuse. Au total on doit être une trentaine de personnes à être venu flâner et discuter sous le soleil rayonnant de cette fin de printemps. D'un coté on parle de la qualité de l'herbe, de l'autre des nouvelles découvertes musicales et des morceaux a la mode. On négocie le prix de la beuh, on taxe deux trois bouffées à droite à gauche, on planifie les prochaines grosses commandes, les prochaines grosses soirées. Tout l'endroit est baigné dans une odeur de fumée et de transpiration, sous le nez des surveillants, du directeur et aussi, de la police. Les trois bancs sont devenu une zone de non droit dans laquelle des dizaines de jeunes s'épanouissent et rient ensemble au son des tambours à la manière d'une tribu d'Apaches ou de Sioux. Fumant leur calumet comme animés par une transe éveillée. La fumée est comme liquide. Le monde semble s'éveiller enfin. Le soleil se rapproche petit à petit de l'horizon, me rappelant que je ne dois pas rentrer tard. Je prends une grande bouffée sur le joint pour le terminer puis, d'une pichenette, l'éjecte en direction de la poubelle. Je salue mes amis et, à contre cœur, traverse a nouveau la fine membrane qui sépare l'intérieur de la bulle du reste du monde. 

    Je marche lentement à travers la ville pour rejoindre l'arrêt du bus qui me ramènera chez moi. Je suis totalement éclaté. Ma bouche est sèche. Mes yeux me brulent. Je peux sentir mon cœur battre dans chacune des parties de mon corps. Les écouteurs dans les oreilles, je me sens comme dans un clip de musique. Chaque voiture, chaque passant semblent avancer en rythme sur la mélodie. A ma grande surprise, même le bus est synchrone. A peine arrivé qu'il s'arrête devant moi et ouvre les portes pour laisser rentrer les premiers passagers. Je monte, présente ma carte et vais m'asseoir sur une des places tout au fond. A chaque arrêt les passagers qui montent me regardent et me dévisagent. Je pue la drogue et en plus, je dois avoir l'air totalement torché. Est-ce que ça à une importance ? Pas vraiment. Je me sens bien, le soleil brille, l'herbe sent bon, la musique est belle. A ce moment, c'est tout ce qui compte.

2 commentaires:

  1. Les bancs... c'est là où tout a commencé...

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    1. J'ai l'impression que quelques soit l'histoire ou le lieux, tout commence souvent sur un banc. C'est sans doute parce que les gens n'aiment pas beaucoup rester debout?

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