Avec des cartes, je gratte le fond de la poêle. Je transforme les cristaux en fine poudre et je les rassemble en tas. Je vous jure ! On se croirait en Camargue ! Sauf que cette poudre là a plus une odeur de sels de bain que de sel marin. En hâte, je prépare deux lignes. Une plutôt raisonnable et une autre un peu plus conséquente. D'un post-it je roule un fin tube et inspire la plus courte des deux. La poêle à la main, je file dans ma chambre mettre un peu de musique. Mon nez me brule et un affreux gout me coule dans la gorge. Ca, en tout cas, c'est sûr, ça n'a pas changé. Il faut maintenant attendre que ça fasse effet. Le seul soucis c'est que j'ai déjà user de toute ma patience quand je faisais la cuisine. J'allume une cigarette alors que le contenu de la deuxième ligne me coule déjà dans la gorge. C'est vraiment pas bon. J'ai quelques haut-le-coeur mais je ne pense pas vomir. Je déglutit avec dégout mais le plus dur est passé et je commence a partir. Je m'allonge dans mon lit et laisse la musique guider mon esprit. Je ferme les yeux. En quelques minutes, mon corps est complètement détendu. Il fait noir. Mais pas totalement, j'ai l'impression que quelque chose se dessine dans ce néant. Et peu a peu, le vide s'anime.
La Bonne Excuse
La Boulangère
Le réveil sonne. Je n'ai pas encore dormi. J'ai passé la nuit a me faire des lignes et à somnoler entre deux mondes. Toujours est-il qu'il faut que je me mette au boulot, l'argent va pas tomber du ciel. Je me prépare un café, met en route l'ordinateur, allume une cigarette et prends mon téléphone. Ce matin je dois m'occuper de faire ma publicité. Je choisis stratégiquement quelques personnes pour faire tourner l'info. Le message est simple : "Juste pour vous mettre tous au courant, j'ai reçu la foudre. Passez à la maison, vous serez pas déçu." La nouvelle devrait vite se propager. Et puis j'ai une petite réputation dans le coin, les gens savent très bien que je ne mens pas quand je leur dit que c'est du bon. Ils savent que je suis difficile sur ce genre de produits. La poêle est posée sur l'imprimante a coté de l'ordinateur, je m'en saisi et avec une carte à jouer je trace une petite ligne sur le téflon. C'est le deux de trèfles. Mon père disait toujours que c'était une carte porte bonheur. J'inspire avec peine le petit trait de poudre jaune. Comme j'ai passé la nuit à en prendre j'ai les muqueuses du nez toutes gonflées. Je suis d'excellente humeur ce matin et le soleil luit tranquillement a l'extérieur. Je décide de rassembler un peu ma monnaie, m'habille et je pars à la boulangerie. Dehors les oiseaux chantent, l'eau qui coule dans la marre du jardin me murmure des compliments dans un doux clapotis. Les quelques insectes qui volent par ci et là ont l'air de petites particules de lumière dans la lueur de ce soleil matinal. Ca ferai un beau tableau. Dans la rue, pas un bruit, il n'y a presque personne dehors. Seulement quelques voitures qui partent au travail et quelques vieux qui promènent leur chien. J'aime beaucoup le calme qui règne dans le village à cette heure là. En ville ils n'ont pas cette chance. A peine sonné les 6h tout s'y agite et le bruit des voitures, des camions et des bus se réveillent eux aussi. Ici, si on oublie le peu de voiture qui passent, on entends que le son du vent.
J'ai à peine fini mon deuxième croissant que je reçois déjà quelques réponses. Je risque d'avoir du monde cet après midi. C'est bon signe, avec un peu de chance j'aurait tout bazardé avant la fin de la semaine. Je vais pouvoir penser un peu à autre chose. Tiens d'ailleurs, comment elle va elle? Je suis sûr que ça la rendrait folle de savoir que je me porte aussi bien. Je décide de lui envoyer un message. "juste histoire de prendre des nouvelles."
Marché En Plein Air
J'ai toujours travaillé de cette manière. En tout cas si on peux appeler ça un travail. J'ai commencé ce genre de business dans mes premières années de lycée puis ça m'a suivi tout au long de ma vie. Dans un premier temps je choisis un produit sur lequel miser. Si possible un produit que je connais, ça évite les mauvaises surprise. Ensuite il faut trouver le meilleur rapport qualité prix. Ca peut parfois être compliqué car on a pas vraiment d'échelle pour évaluer ce genre de marchandise mais ce qui est sûr, c'est que plus ton investissement de départ est élevé, plus les prix sont bas et plus les bénéfices seront élevés. Une fois cette étape achevé, il faut prospecter des clients potentiels. Des clients pour ce genre de choses il y en a des tas. Et plus tu traines dans le milieu, plus les contacts se font facilement. Ensuite, le bouche à oreille fait le reste. Le début est un peu difficile mais tu rentre assez vite dans ton budget si tu ne fais pas trop d'excès. Les principales denrées sont variées dans ce genre d'affaire : Plantes et champignons, huiles et résines, cachets et pilules, poudres et cristaux. Il y a vraiment de tout. Quand j'ai commencé je ne voulais faire que du naturel mais après m'être familiarisé avec des médicaments de toutes sortes, j'ai très vite compris que ce qui sort d'un laboratoire peu rapporter gros. J'ai eu toutes sortes de clients et pour toutes sortes de produits. Pas mal de monde me considérait comme un fin connaisseur dans le milieu et j'étais devenu assez populaire. J'y ai d'ailleurs rencontré pas mal d'autres marchands de rêves dans le même genre. On aspirait tous à la fortune et à la liberté, un peu comme des pirates, ou des voyageurs d'une autre époque, sans cesse à la recherche d'aventures, d'épices exotiques et d'or. C'est vraiment quelque chose de grisant. Tout du moins au début. Assez vite, la réalité te rattrape. Un travail est un travail et même dans cette sphère, il y a une hiérarchie à respecter.
La concurrence est rude et les gros réseaux veulent garder la main mise sur la clientèle et les points de ventes. C'est un business violent. De plus c'est une activité illégale, le risque de se faire emmerder par la police est inévitable. Cette pression quotidienne ça peut vite rendre fou. Malgré tout c'est une affaire qui donne de gros résultats. Mais bon. Là ou il y a de l'argent, il y a des problèmes. J'ai toujours essayé de garder une certaine distance avec les groupes un peu trop imposant même si il est déjà arrivé que je me prenne quelques claques et quelques coups de pression. A vrai dire, je crois que je suis un peu inconscient. Je dirai même que je trouve ça excitant les problèmes, ça me donne l'impression d'être important. Evidemment j'ai quand même évoluer depuis mes premières années. Maintenant j'essaye de me tenir loin de cette violence mais on ne peux pas toujours y échapper.
Nesquik n'est pas un indépendant comme moi. Lui, il fait partie d'un de ces gros réseaux. Quand je l'ai rencontré la première fois, il m'a paru être quelqu'un d'assez sympathique et plutôt banal. Malgré son coté méfiant il a le don de mettre à l'aise n'importe qui. Je suis convaincu l'avoir déjà rencontré une fois avant ça, mais impossible de me rappeler ni de quand ni de où. Et puis avec ce pseudonyme, il est difficile de remettre un nom sur son visage. Il faut croire que c'est quelqu'un d'assez discret. Suffisamment visible pour qu'on le voit mais assez effacé pour qu'on ne le regarde pas, comme l'ombre d'un chat noir dans une ruelle sombre. En tout cas, pas besoin d'être un génie pour comprendre que ce qu'il vend c'est pas du cacao. Les pseudonymes des dealers sont toujours assez loufoques. Avec le temps ils sont devenus de plus en plus inventifs. Mais après tout, ces petits surnoms, c'est leur image de marque. Et chez les jeunes, ça fait un carton.
Les Coquillettes
Il est 14h. J'ai faim. J'ai d'ailleurs tout le temps faim. Quand je suis encore large dans mon budget je ne me pose pas de question : je fais défiler les différents restaurants sur l'application, je paye, je mange et fin de la discussion. Mais quand je commence à être dans le rouge, c'est une autre histoire. Il faut que je réussisse à faire quelque chose de bon avec ce qu'il reste au fond de mes placards. Il faut vraiment que ce soit bon. Manger se doit d'être un plaisir. S'il y a bien une différence entre la vie et la survie, c'est très certainement le plaisir. La plupart du temps, quand j'ai du choix dans mes réserves, j'adore cuisiner. En général, je fais mes courses une fois par semaine et achète de bons produits : légumes, viandes, fromages, féculents, quelques sucreries. Mon alimentation est plutôt variée. Aujourd'hui mes tiroirs sont vides, j'ai dépenser mes derniers euros pour les affaires et je m'efforce de trouver une idée de recette. En vérité il y a encore largement de quoi manger mais disons que cela ne m'inspire pas grand chose. Je soupire et attrape le plus petit oignon des trois qu'il me reste et l'émince en essayant de le détailler le plus finement possible. Ensuite je jette le tout dans une poêle avec un bon carré de beurre et pendant qu'il fond, j'écrase une gousse d'ail que j'ajoute à la préparation. Une pincée de sel, du poivre, quelques épices, puis je laisse mijoter à feu doux. Je prends une casserole pour y faire bouillir de l'eau. Dès l'ébullition, j'y verse une quantité abondante de coquillettes. Je n'aime pas les coquillettes mais c'est tout ce qu'il me reste. Je ne sais même pas pourquoi il y en a dans mon placard. C'était sans doute les pâtes les moins chères du rayon ou alors peut être que je m'étais dit que j'en mangerais moins et qu'en conséquent, cela me durerait plus longtemps. Je continue ma recette improvisée ajoutant plus ou moins au hasard les ingrédients. Cela ne semble pas si mal et un doux fumet commence à envahir la cuisine. J'abandonne tout sur le feu et quitte la pièce.
J'écrase une cigarette dans le cendrier lorsque retentit le minuteur de la plaque de cuisson. Je me presse donc dans la cuisine, me sers une assiette puis me mets à table. Je n'ai pas vraiment l'œil pour ce qui est des quantités mais au moins, je sais ce que je vais manger pour les trois prochains repas. Je n'aime pas les coquillettes mais après tout, j'ai faim. Et puis, avec la sauce ça ne devrait pas être si terrible. Après quelques bouchées, j'ajuste ma recette. Je rajoute une lichette de crème, un peu de sel et sur un élan d'aventure, une pointe de sirop d'érable. Ca peut paraître surprenant d'un prime abord, mais le sirop d'érable se marie parfaitement bien avec le goût du curry. Je prends cela en note dans un coin de ma tête et finis mon assiette. Je mets les casseroles et l'assiette dans l'évier, passe un coup d'éponge sur la plaque, puis me dirige vers mon ordinateur. La vaisselle continue de s'entasser dans mon évier mais tant pis, je la ferais plus tard.
Sur Mon Navire
Cela fait vingt minutes environ que je suis sorti de mon corps. Je file à toute vitesse sur une route de campagne bordée d'un champs de coquelicots. Tout le paysage semble désaturé. La plupart des couleurs sont absentes. Tout est en noir et blanc mis à part les pétales des fleurs qui sont d'un rouge éclatant. Je profite de cette vue incroyable quand soudain je sens le téléphone qui vibre à coté de ma jambe. Je reviens alors instantanément dans mon corps. Je ne veux pas ouvrir les yeux tout de suite mais je dois répondre, c'est sans doute important. J'émerge doucement de ma torpeur et décroche l'appel, les paupières encore collées, le corps encore engourdi.
"- Ouais... allo ?
- Ouais allo gros ! Tu dormais où quoi ?! Ca fait trois fois que j't'appelle ! J'suis en bas viens m'ouvrir !
- Laisse moi deux minutes, j'arrive tout de suite.
- Ouais bah dépêches!"
Je pousse un profond soupir. J'aurais voulu rester là bas quelques minutes de plus. Mais bon, le travail m'appelle. Je lance la bouilloire et descends ouvrir.
"- P'tain ça fait dix minutes que j'attends! T'avais oublier que je passais ou quoi ?!
-Non du tout, juste je suis crever, j'ai rien dormi de la nuit. Je faisais la sieste.
-Tu fait tout le temps la sieste toi! Trouve toi un boulot sérieux ! Bon... T'a ce qu'il me faut?
-Ouais faut juste que j'te prépare ça en vitesse, tu veux une trace en attendant?
-Ouais ! Carrément ! C'est de la foudre tu m'a dit ? Hâte de gouter ça !"
Je le fais monter, l'assieds dans le canapé et lui tends l'assiette. Il en dévisage le contenu.
"-Pourquoi elle est jaune comme ça? C'est normal?
-Ouais j'ai merdé dans la préparation, j'ai mal nettoyer ma poêle après mon curry mais franchement t'en fais pas, elle est bien mieux que ce qui se fait en ce moment, tu peux me croire."
Il éclate de rire.
"-Mort de rire ! Tu t'es pris pour Heisenberg ou quoi ? N'empêche que tu devrais pas cuisiner ça là ou tu fais à manger... Sérieux gros ! Fais gaffe !"
Il sort un ticket de caisse, en déchire un bout et le roule pour en faire une paille. Pendant ce temps, je pèse deux grammes et demi sur la balance et fabrique une petite enveloppe dans laquelle je glisse le tout. On échange encore quelques banalités sans intérêt puis je lui remets l'enveloppe et il me tends les billets que je m'empresse de recompter. Le compte est bon, je le salue et le raccompagne jusqu'à la sortie. J'ai encore deux ou trois personnes à recevoir pour le café aujourd'hui. Cette journée s'annonce fructueuse. On peux dire que la semaine commence bien. Je m'assieds a mon bureau et lance la première vidéo qui passe sous mes yeux. J'ai encore une petite heure devant moi. Ne me reste plus qu'a attendre le prochain client. Il ne devrait pas trop tarder.
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Aujourd'hui je n'ai pas envie. Pas envie de boire du café. Pas du thé non plus. Pas envie de travailler ni sur mes morceaux ni s...
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Il fait sombre. Le soleil s'est couché depuis une ou deux heures. J'ai souvent tourner en ronds ou en spirale sans vraiment sav...
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Le vent souffle dans mes oreilles. Je connais la route par cœur, j'ai du la prendre une bonne dizaine de fois déjà. Le trajet n...